Le développement des locations meublées saisonnières de courte durée dans les grandes métropoles et les destinations touristiques a des conséquences considérables et pour la plupart négatives. De nombreuses copropriétés voient leur quotidien bouleversé par ce phénomène : dégradations des parties communes, nuisances sonores…Sans parler d’un immeuble qui se transforme en zone de transit où des inconnus errent une valise à roulettes au bout du bras…Que dit la loi ? Quelles actions peuvent entreprendre le syndicat des copropriétaires et le syndic pour protéger l’immeuble ? Cet article fait plus particulièrement le point sur la situation à Paris.
Une bonne idée dévoyéee
Au tout début, les locations de type Airbnb ont été présentées comme un système « cool » et « gagnant/gagnant ». D’un côté, des copropriétaires et locataires pouvaient ainsi compléter leurs revenus en louant occasionnellement une chambre ou leur appartement. De l’autre, des voyageurs bénéficiaient d’un mode d’hébergement plus authentique, pratique et moins coûteux.
La réalité est devenue toute autre avec une professionnalisation de ce secteur, entrainant une perte de logements à louer sur des baux classiques, une hausse des prix des biens immobiliers et des loyers, une concurrence déloyale vis-à-vis des acteurs du secteur du tourisme, une perte d’identité des quartiers, et des nuisances importantes dans les copropriétés (dégradation accélérée des parties communes, nuisances sonores, tapage nocturne, sécurité mise à mal…).
Sans parler de l’autre scandale : certaines plateformes d’intermédiation étrangères (Airbnb mais pas que) ne paient pas d’impôts en France.
Au fil des ans, la location type « Airbnb » s’est donc révélée anti-éthique et dangereuse pour l’équilibre des métropoles, et notamment celui de Paris (première destination touristique mondiale).
Toutefois, il n’est pas question ici de faire le procès des copropriétaires responsables et respectueux, ayant recours occasionnellement, dans le cadre légal, à la location de courte durée pour arrondir leurs revenus et pouvoir juste continuer de vivre à Paris. Il en existe aussi !
Définition de la location saisonnière de courte durée
Les meublés de tourisme (location saisonnière ou touristique) sont proposés en location à une clientèle de passage qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois, et qui n’y élit pas domicile. Autrement dit, il s’agit de la location répétée de courte durée.
Voir l’article D. 324-1 du code du tourisme sur Légifrance.
Ce type de location est bien différent de la location meublée d’habitation qui correspond à la résidence principale du locataire (soit 8 mois minimum par an).
A lire : Le tableau comparatif sur le site service-public.fr très bien fait.
Les règles qui s’imposent aux propriétaires
Devant le développement de ce type de location et des plateformes d’intermédiation (Airbnb, Abritel, Le bon coin…), l’Etat a mis en place des règles et des dispositifs de plus en plus contraignants avec la Loi ALUR en 2014 puis la loi pour une République numérique en 2016. Dernièrement, la loi ELAN en novembre 2018 a renforcé les contrôles et les sanctions vis-à-vis des loueurs mais aussi des plateformes.
Deux cas de figure principaux existent selon que le logement est la résidence principale ou non du propriétaire.
Le logement est la résidence principale
La résidence principale est le logement occupé au moins huit mois par an par le propriétaire ou le locataire. Dans ce cas, la location est limitée à 120 jours (4 mois) par an.
Les règles sont les mêmes qu’on loue une pièce ou le logement entier. Aucune autorisation n’est à demander au syndicat des copropriétaires.
Vis-à-vis de la mairie, il faut :
- faire une déclaration préalable pour obtenir un numéro d’enregistrement. Ce numéro doit ensuite figurer sur les annonces.
- payer la taxe de séjour
A noter : en cas de location d’un lot annexe au logement (chambre de service…), ce local n’est pas considéré comme la résidence principale.
Attention : Un locataire doit avoir l’autorisation écrite du propriétaire pour pouvoir sous-louer son logement y compris en meublé touristique.
Le logement n’est pas la résidence principale
Dans ce cas, pour exploiter son logement en location touristique (cela vaut dès une nuit de location par an), il faut :
Vis-à-vis du syndicat des copropriétaires :
Si la location touristique (assimilée à une activité commerciale) est contraire à la destination de l’immeuble figurant dans le règlement de copropriété (clause d’habitation exclusive, clause d’habitation bourgeoise), il faut faire voter à l’unanimité en assemblée générale le changement d’usage. Le règlement peut prévoir également que l’immeuble est à usage mixte, c’est-à-dire qu’il autorise un usage à la fois d’habitation, professionnel et commercial des locaux. Dans ce cas, la location touristique est possible.
Vis-à-vis de la mairie (ville de plus de 200 00 habitants, dont Paris), il faut :
1. obtenir une autorisation de changement d’usage avec compensation (procédure lourde). En effet, le logement est soustrait du parc d’habitation classique. Pour maintenir l’équilibre, il faut proposer en compensation un local qui sera transformé en surface d’habitation. Pour en savoir plus sur le site de la mairie de Paris
2. procéder au changement de destination du local en hébergement hôtelier et s’adresser pour cela à la direction de l’urbanisme.
3. faire une déclaration préalable pour obtenir un numéro d’enregistrement qui doit ensuite figurer sur les annonces.
4. payer la taxe de séjour
A Paris : Le site de la mairie propose une rubrique très pédagogique et très précise avec les liens vers les services en ligne pour se déclarer et les différents services où s’adresser.
https://www.paris.fr/meubles-touristiques
https://teleservices.paris.fr/meubles-tourisme/
Par ailleurs, les revenus de la location touristique sont soumis à l’impôt et à des règles fiscales particulières.
Voir cette fiche du ministère de l’économie
Les sanctions en cas de non-respect de la loi
La loi ELAN à l’automne 2018 a renforcé les sanctions :
• les particuliers qui n’ont pas déclaré ou télédéclaré leurs locations touristiques auprès de la mairie peuvent être frappés d’une amende civile allant jusqu’à 5.000 € ;
• les particuliers qui ne transmettent pas, alors que la mairie leur en a fait la demande, le décompte des nuits ayant fait l’objet d’une location, peuvent être frappés d’une amende civile pouvant atteindre 10.000 € ;
• les plateformes qui publient des annonces sans respecter leurs obligations (mention du numéro d’enregistrement, transmission des informations à la commune quant au nombre de jours de location notamment) encourent des amendes atteignant 50.000 €.
A Paris, voilà ce qu’indique le site de la mairie :
« En l’absence d’autorisation préalable de changement d’usage, le propriétaire s’expose à une amende de 50 000 € par logement et une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par m² jusqu’à régularisation. Les poursuites sont engagées par la Ville de Paris auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris – section civile.
Des sanctions pénales sont possibles en cas de fausse déclaration, dissimulation ou tentative de dissimulation des locaux soumis à déclaration (article L.651-3 du Code de la construction et de l’habitation) : emprisonnement d’un an et amende de 80 000 € avec intervention de la Brigade de répression de la délinquance astucieuse de la Préfecture de Police. »
Les actions possibles du syndicat des copropriétaires face aux locations meublées touristiques
Trois principaux motifs peuvent inciter le syndicat des copropriétaires à agir :
1. le non-respect du règlement de copropriété en cas de clause d’habitation exclusive ou de clause d’habitation bourgeoise
2. les troubles anormaux de voisinage
3. le non-respect de la règlementation en cas de changement d’usage
Face à cela, le syndicat des copropriétaires et son syndic, avec l’appui du conseil syndical, peuvent mettre en œuvre trois types de mesures :
1. des mesures d’information, préventives et pédagogiques,
2. des mesures amiables et précontentieuses
3. des actions en justice.
Pour commencer, le conseil serait de sensibiliser les copropriétaires à ce sujet et de négocier avec les copropriétaires concernés. Pour les finances de la copropriété et les relations en son sein, on le sait, les procédures judiciaires sont, autant que possible, à éviter.
Suggestions de mesures préventives et pédagogiques
Le conseil syndical peut demander au syndic de faire un point d’information et un rappel des règles en vigueur chaque année lors de l’assemblée générale, à compléter par un rappel écrit dans la convocation et/ou le procès verbal.
Si le règlement de copropriété comprend une clause d’habitation exclusive ou d’habitation bourgeoise (voire stricte : aucune profession libérale autorisée), la location touristique est proscrite (La jurisprudence en la matière est très claire). Il est simple dans ce cas de rappeler que le règlement de copropriété s’impose à tous.
Le conseil syndical peut aussi afficher en évidence dans les parties communes (portes entrée, porte ascenseur) un message en français et en anglais à l’attention des hôtes de passage dans l’immeuble en rappelant qu’ils doivent respecter les lieux.
Dans le cadre d’un projet de refonte du règlement de copropriété, il est possible d’intégrer une modification de la destination de l’immeuble mais il faut un vote à l’unanimité des voix du syndicat des copropriétaires. Dans ce cas, bien se faire conseiller par un spécialiste en droit immobilier, avocat ou notaire.
Suggestions de mesures amiables
Un conseil : être toujours factuel. Il est impératif que le conseil syndical, les copropriétaires et les habitants consignent par écrit les faits : tel jour à telle heure, telle nuisance, telle dégradation des parties communes a été constatée…Prendre des photos en complément si cela est pertinent.
En cas de nuisances avérées, le conseil syndical et/ou le syndic doivent contacter le copropriétaire pour un premier échange informel (physique, téléphone) et en savoir plus sur l’état d’esprit du copropriétaire. Syndic et conseil syndical doivent se coordonner pour bien coopérer sur le dossier.
On peut aussi suggérer aux copropriétaires visés d’opter pour d’autres formules de location qui ne nuiront pas à la copropriété (location meublée longue durée…).
Cet échange informel sera suivi d’un courrier indiquant un rappel du contenu de l’échange, les nuisances, dégradations et troubles constatés, un rappel de la loi, et ce qui a été convenu lors de l’échange avec un délai pour refaire le point sur la situation.
Si ce courrier n’est pas suivi d’effet dans le délai indiqué et que les nuisances perdurent, le syndic peut envoyer au copropriétaire un courrier de mise en demeure. Cette mise en demeure signale la fin des mesures précontentieuses.
Le conseil syndical peut aussi faire signer une pétition aux habitants de l’immeuble pour demander au copropriétaire de cesser son activité de location touristique.
Dans de nombreux cas, le fait que le conseil syndical et le syndic commencent à se mobiliser et à mettre un peu de « pression » sur le copropriétaire permet de faire bouger la situation dans le bon sens.
Dans l’hypothèse où les échanges proposés ci-dessus n’aboutissent pas à une évolution de la situation et s’il y a un fort doute sur le respect de la réglementation en vigueur par le copropriétaire (notamment sur le changement d’usage dans le cas d’un logement qui n’est pas la résidence principale), le syndic, après concertation avec le conseil syndical, peut aussi envoyer un mail ou un courrier au bureau de la protection des locaux d’habitation de la mairie de Paris demandant à savoir si le copropriétaire est en règle.
Les éléments à indiquer dans le courrier pour qu’un enquête puisse être menée par la mairie :
– situation des locaux concernés, bâtiments, étages, portes, numéros de lots,
– nom et coordonnées des propriétaires concernés (adresses de leurs résidences principales si possible)
– impérativement, le ou les site(s) internet utilisé(s) et son (ses) lien(s) html (URL) qui sont la preuve d’une activité commerciale récurrente
Contact : Mairie de Paris – Bureau de la protection des locaux d’habitation – 103 avenue de France 75013 PARIS ou par mail : dlh-bplh@paris.fr
Les actions en justice
Si les actions amiables n’ont eu aucun impact et que la situation de nuisances perdure, il faudra passer à l’étape suivante et aux actions en justice sous réserve d’un dossier solide. Les conseils de l’ADIL et d’un avocat doivent être pris en amont pour ne pas se lancer dans une procédure coûteuse et hasardeuse. Il faudra aussi montrer que de nombreuses actions amiables ont été menées.
A ce stade, il peut aussi être proposé une procédure de médiation entre les parties afin de donner une dernière chance de trouver un accord amiable.
Sinon, à l’ordre du jour de l’assemblée suivante, une résolution autorisant à poursuivre en justice le copropriétaire incriminé sera soumise au vote (majorité de l’article 24).
Les possibilités d’action pour le syndicat des copropriétaires sont potentiellement de trois ordres :
1. non respect du règlement de copropriété si celui-ci contient une clause d’habitation exclusive ou une clause d’habitation bourgeoise.
2. trouble anormal de voisinage. Comme c’est le syndicat des copropriétaires qui agit, il faut pouvoir démontrer que ce trouble affecte l’immeuble dans ses parties communes. Même si le copropriétaire est en règle vis-à-vis de la réglementation sur la location meublée touristique, cela ne l’autorise pas à troubler la vie de l’immeuble.
3. Non respect de la réglementation sur le changement d’usage. Dans ce cas, en cas de refus du copropriétaire de procéder aux démarches pour régulariser sa situation, la mairie poursuivra le copropriétaire en justice. Le syndicat peut aussi le faire.
Pour en savoir plus
Le site de la mairie de Paris et les pages consacrées à ce sujet.
VUE SUR COUR ET LES LOCATIONS MEUBLEES TOURISTIQUES DE COURTE DUREE
VUE SUR COUR a, en tant que syndic, le devoir de défendre les intérêts du syndicat des copropriétaires. Nous échangeons avec le conseil syndical pour le conseiller et prendre des mesures équilibrées. Pour VUE SUR COUR, mieux vaut prévenir que guérir et l’information sur les règles en vigueur est fondamentale.